Un vieux sage africain: M. DESGRANGES,
appelé familièrement pépère.
Le Maire de Fèrebrianges m’avait prévenu : « des amis francs-maçons m’annoncent la nomination à l’Inspection Primaire de Sézanne d’un brave homme, veuf, qui a fait sa carrière en Afrique, risque d’être dépaysé et aurait besoin de soutien ».
Un soir, tard, on frappe à la porte de mon bureau et entre un vieux monsieur qui avait de fortes ressemblances avec Stéphane Hessel.
« M. Desgranges – Inspecteur de Sézanne ».
Après les présentations, je l’invite à me suivre à la maison.
A peine sorti, je perds sa trace dans la cour non éclairée « où êtes-vous M. l’Inspecteur ».
Réponse inattendue : « Je pisse M. le Principal… ».
Tout simplement, M. Desgranges se soulageait derrière un arbre !
En soupant à la maison, il nous a naturellement raconté sa vie en Afrique.
Il passait à la maison sans prévenir « ça me fait comme une petite famille de venir chez vous » répétait-il.
Il arrivait en disant : « j’ai amené une boite de petits pois, si vous pouvez la faire chauffer… ».
Il avait toujours de savoureuses anecdotes à raconter sur ses années passées en brousse.«
Vous qui connaissez bien vos collègues, dites-moi qui je dois aller inspecter pour augmenter leur note…
Rassurez-les, en disant qu’un enfant me récitant un beau poème me suffira.
C’est l’essentiel ! Le reste, bof…».
II lui arrivait, passant un soir, dans une école de village et trouvant l’institutrice corrigeant des cahiers de lui dire : « Vous n’êtes pas mariée ?
Mais alors, le rôle d’une épouse n’est-il pas de bien préparer le repas de son mari plutôt que de corriger des cahiers ?...
Allez, rentrez-vite à la maison… ». Certains enseignants ont vite relativisé leur conscience professionnelle !
Pour son départ en retraite, M. Desgranges a prononcé un discours mémorable, d’une haute tenue, d’une belle élégance et d’une profonde humanité sur le sens de la vie.
Nous lui avons rendu visite pendant sa retraite dans son beau chalet du lac du Bourget et avons échangé des vœux jusque son décès.
Il était devenu adjoint au maire et s’impliquait beaucoup dans la vie municipale.
Comme cadeau de départ d’Afrique, un chef de tribu avait remis à M. Desgranges une canne en ébène.
Le pommeau en ivoire représentait une main tenant un œuf.
Beau symbole de l’éducation : bien tenir l’œuf dans la main afin qu’il n’échappe pas mais ne pas serrer trop fort au risque de le briser.
Sagesse africaine que Pépère incarnait parfaitement.
Bien d’autres inspecteurs et inspectrices ont suivi sans marquer profondément ma mémoire. |
|